Femmes du Caire de Yousry Nassrallah

par LLH

Capture2015-06-18-11h26m26s746RACONTE SHERAZADE, RACONTECapture2015-06-20-19h53m20s052

En voyant Femmes du Caire, je repensais à la structure de Trois souvenirs de ma jeunesse (Arnaud Desplechin – 2015), vu récemment. Si on y réfléchit, les deux films sont effectivement construits sur un principe identique : le ré-enchaînement du présent à des boucles de passé ouvertes puis refermées tout au long du film.

Dans le film égyptien, les boucles de passé sont des boucles narratives, des histoires racontées. Le film suit le parcours d’une jeune présentatrice de télé, pas la plus rebelle politiquement, mais pas la plus niaise non plus puisqu’elle reçoit chaque semaine dans son show des femmes qu’elle fait témoigner sur leur vie. Progressivement, ces histoires occupent une place de plus en plus grande dans le film, jusqu’à devenir, pour certaines, de petits films dans le film. Façon assez subtile de tisser un lien direct entre la jeune présentatrice, femme moderne et qui vit à l’occidentale et ces femmes dont les histoires défilent. Façon, donc, d’inscrire son histoire à elle dans la continuité des leurs, ce que confirme la toute fin du film, dans laquelle elle est prise à son tour dans une boucle de violence. Les derniers plans n’ont rien de très étonnants. On les attend comme la suite logique de tout ce qui précède : dans cette société-là, la plupart des épisodes ayant souligné que le rôle de la femme y est de rester à sa place, il est bien évident que toute once de recul critique de la part de l’animatrice ne peut faire long feu. Les boucles ré-enchaînées servent donc moins à faire monter le suspense qu’à mettre en évidence le fait que son histoire à elle ne peut pas non plus échapper au schéma violent auquel elle croit pouvoir échapper.

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Structurellement assez démonstratif, le film n’est pas pour autant dénué de tout intérêt autre que politique (ou, disons, sociétal). La mise en scène de Nasrallah rappelle parfois le cinéma d’Almodovar dont il pourrait être un lointain cousin. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un cauchemar en forme de visite fantomatique dans un appartement désert, rappelant le motif spectral omniprésent chez le cinéaste espagnol. C’est lui qui servait par exemple de poumon à Volver, portrait croisé de cinq femmes puissantes, dont on se dit parfois que Femmes du Caire prend discrètement le chemin. On sent en effet chez Nasrallah, au-delà de cette première séquence dont la ressemblance avec le cinéma d’Almodovar est seulement anecdotique, une même volonté de retrouver le réel (politique en l’occurrence) par le détour d’une forme d’outrance du côté fictionnel : à savoir un travail chromatique délibérément anti-réaliste ou l’inscription de l’intrigue dans des décors digne de la publicité (et notamment l’appartement du couple) lorsqu’elle ne se déroule pas directement sur le plateau de tournage de l’émission.

A l’origine, le film s’appelait Raconte Sherazade raconte, désignant explicitement son héroïne comme héroïne de conte. Yousry Nasrallah cherche effectivement dans le film à produire quelque chose de comparable à un conte avec en conséquence ce qu’il faut d’artifice et d’invraisemblances. Mais aussi avec une inévitable distance que le film installe (formellement) et peine ensuite à résorber. Exemplairement, l’équilibre qui permettrait de provoquer une émotion (plus qu’une indignation) politique est bien plus présent dans les histoires enchâssées que dans le récit-cadre du parcours de la jeune femme. Repensant à Almodovar, on imagine alors non pas ce qu’il aurait pu faire de cette histoire, mais ce que Y. Nasrallah lui-même aurait pu en faire en s’aventurant vraiment du côté du mélodrame, quitte à perdre un peu de la lisibilité de sa morale finale.

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Femmes du Caire (Ehky ya Shahrazad), de Yousry Nasrallah. Scénario de Waheed Hamed. Photographie de Samir Bahsan. Montage de Mona Rabi. Musique de Tamer Karawan.
Egypte – 2009. 2h15.
Avec Mona Zaki (Hebba), Hassan El Raddad (Karim, son mari), Mahmoud Hemeida, Sawsan Badr, Rihab El Gamal, Nesrine Amin et Nahed El Sebaï.

(20 juin 2015)